Canton de Tuchan et communauté de communes des Hautes-Corbières

Addition : La mine de Houille de Ségure

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La mine de houille de Ségure

     Le petit bassin houiller de Ségure s'étend sur les communes de Tuchan et Quintillan, autour du hameau et du château du même nom. Il appartient à l’étage géologique du Stéphanien-Moyen et forme une ellipse d'environ 2,5 sur 1 km. Une seule couche, de 0,95 m de puissance a été exploitée, les autres étant trop mêlées de schiste. Des éruptions volcaniques survenues il y a des millions d’années ont rendu la houille dure et sèche. Ses caractéristiques, sèche et assez impure, la rendent impropre à de nombreux usages industriels, car on ne connaissait pas les procédés de lavage, qui permettent maintenant de trier le schiste du charbon. Un tri manuel était donc effectué à la sortie de la mine pour séparer l'argile schisteuse noire imprégnée, de la houille. Aussi, malgré les espoirs des minéralogistes des Corbières, on n'a jamais pu l'employer avec succès dans la réduction des minerais de fer et de cuivre. On ne peut pas en faire du coke, et la tentative d'installer des hauts-fourneaux à Ségure en 1839 fut un échec. La qualité la moins cendreuse a cependant été utilisée pour le grillage des minerais, et le chauffage des fours des forges maréchales. Sinon, elle a surtout été employée à la cuisson de pierres à chaux et de briques destinées à construire ou réparer les fortifications de Perpignan et des environs. Chaptal et Pailhoux au XVIIIe, puis Paliopy au XIXe l'ont aussi utilisée pour la réduction du minerai d'antimoine, à las Corbos (Maisons), la Bouzole (Palairac) ou les Orts (Soulatgé).


     Vers l'an 1678, le maréchal de Vauban, inspecteur des fortifications, exploita quelque peu cette houille pour cuire les briques destinées à l'exécution de ses projets de fortification de Perpignan et des environs. De 1691 à 1695 la mine est en exploitation sous la direction de Dominique Lespine, entrepreneur des mines pour le Roy. La mine, qui appartient aux seigneurs de Ségure, n'est pas directement exploitée par Lespine lui-même. Il se contente de sous-traiter avec des mineurs professionnels. En voici un exemple : Le 1er juin 1693, Dominique Lespine et Jean-Hector de Niort « Sieur de Faste et seigneur de Ségure", passent accord avec deux maîtres mineurs, François Pichou "du lieu de Règnes" et Pierre Esgaly "du lieu de Daveian". Les deux mineurs s'engagent "à acheter et tirer ors de la mine de Ségure la quantité de dus mille quinteaux de charbon de terre tant pour la brique que selui qui qui sera trié pour l'usage des maréchaux" Il leur sera payé trois sols par quintal. Le Sieur de Niort versera, à titre d'avance, 60 livres par mois aux deux mineurs pour leur permettre de subsisters jusqu'a la premiere vente de charbon. Il fournira aussi "neuf piqs à dux pointes, et de fer pour en faire trois autres que lesdits mineurs prandrons à poix et le randront de mesme a la fin du trabail ensemble trois pelles fer et quatre broette et une aissade à pointe ». Lespine, pour son compte personnel, contribue aux fortifications en fabriquant des briques, tuiles et « querons » dans la tuilerie qu'il possède à Perpignan au lieu-dit la Bajolle ».


     En 1756, les mines de Ségure et Quintillan sont redécouvertes par Pailhoux, un bourgeois entreprenant qui avait racheté la seigneurie de Cascastel. L'intendant du Languedoc lui accorde un permis de fouilles pour un an le 5 février 1756. L'exploitation est dirigée par un ingénieur de Perpignan, Grandbonnet, qui s'installe à Tuchan. Celle-ci est probablement abandonnée rapidement. Quand Gensanne visite la région en 1776 elle ne semble pas exploitée. En 1779, Pailhoux obtient de l'intendant une nouvelle permission de recherche pour un an (ordonnance du 2 septembre 1779). À cette époque, il s'associe avec différentes personnes pour exploiter les mines des Corbières, l'ingénieur Duhamel et Pelletier en 1779, son beau-fils Dagobert de Fontenilles et Duhamel en 1780, le chimiste Chaptal en 1782. Il obtient en 1781 une concession sur les mines de cuivre et plomb de Cascastel, Quintillan, Maisons, Montgaillard, Palayrac. Il estime alors sans doute que ces trois ordonnances suffisent pour justifier de son droit à exploiter les mines de Ségure, ce qui lui posera quelques problèmes par la suite. En 1787, un certain Sieur Blonde est entrepreneur des mines de Ségure, sans doute pour le compte de Pailhoux, et reçoit 2400 livres, pour la prime qui lui avait été accordé pendant six années. En 1788, Joseph-Melchior Pailhoux, fils aîné de Joseph-Gaspard, dirige la mine et réside à Tuchan. La mine alimente les forges maréchales de la région, elle sert aussi à chauffer les fours de la forge de Padern que Pailhoux a construite en 1779.
La Révolution française et la guerre entraînent un essor assez vif de la production de houille. C'est en effet depuis mars 1793 la guerre avec l'Espagne, et toute la région est mobilisée pour soutenir l'armée de Cerdagne, commandée par Dagobert de Fontenille. En juillet 1793 une partie de la population de Tuchan était réquisitionnée pour travailler à la mine, apporter la houille à l'hôpital militaire de Pia (Pyrénées-Orientales), ainsi qu'à la forge de Padern, que Pailhoux avait donné à son beau-fils Dagobert, et qui fabriquait des armes et des outils. Elle sert aussi à cuire des briques et des pierres à chaux pour réparer les fortifications de Perpignan. Pailhoux, pour prouver son zèle et obtenir de l'aide, envoie d'ailleurs en Messidor An 2 des échantillons de sa houille et de ses mines d'antimoine au Comité de Salut Public. Mais son zèle et les décrets de réquisition ne suffisent pas. Le 25 messidor an 2 (13 juillet 1794), la municipalité de Tuchan reçoit d'ailleurs un avertissement du département pour les retards dans l'approvisionnement : « la commune de Perpignan ne reçoit plus pour le secours de nos frères d'armes le charbon que vous étiez en usage de leur fournir avant l'époque salutaire du maximum. Je vous déclare que je vous enverrai 50 hommes de garnison aux frais de votre commune »...


     Comme nous l'avons vu plus haut, la mine est établie en partie sur des terrains qui appartiennent ou dépendent du Seigneur de Ségure. Pailhoux devait donc avoir conclu un accord avec celui-ci. Or, en l'an 2 (1793-94), pour une raison que nous ne connaissons pas, Jacques de Casteras seigneur de Ségure et procureur de la commune de Tuchan, empêche Pailhoux d'en poursuivre l'extraction. Il veut sans doute, voyant l'essor de sa production, récupérer la mine à son seul profit. Pailhoux, qui ne peut justifier de ses droits d'exploiter, présente alors au district de Lagrasse une pétition demandant l'extension à la houille, de la concession qu'il avait obtenu en 1781. Le rapport de force change alors. Jacques de Casteras a son fils Denis qui vient d'émigrer, et il est bientôt dénoncé par des patriotes. En germinal an 2, il est révoqué de sa fonction par le directoire du district. Par contre Joseph-Gaspard est le beau-père du général Dagobert de Fontenilles, qui vient de s'illustrer brillamment au service de la patrie en mettant en fuite les Espagnols. Aussi, par un arrêté du comité de Salut Public du 24 frimaire an 3 (14 déc. 1794), il est maintenu dans son droit d'exploiter les houilles de Ségure, Quintillan et Cascastel.


     En l'an 8, la mine était de nouveau à l'abandon en raison de l'absence de chemins qui rendait le transport de la houille à dos de mulet trop coûteux. Pailhoux a beau s’adresser au gouvernement et à son ancien associé, le ministre de l’intérieur Chaptal, rien n’est fait en ce sens. Aussi, Joseph-Gaspard vend-t-il sa concession au sieur Cathelan le 3 prairial an 13 (23 mai 1805). Pour être en règle avec les nouvelles lois sur les mines, Cathelan en demande alors en 1807 la concession. Dans sa lettre il fait part de son achat des droits et terrains de la mine à de Casteras, seigneur de Ségure, et de la concession à Pailhoux (cession confirmée par acte du 5 fructidor An 13 (23 Août 1805). Il n'obtient la concession que le 28 mai 1812. La concession s'étend sur les communes de Tuchan et Quintillan principalement, « dans une étendue de 16,43 km2, limitée ainsi qu'il suit : à partir de Palairac, par une ligne droite tirée de ce point vers le S.E. à la chapelle de Notre Dame de Fauste, à la borde de Sarda ; de ce point, vers le N.E., par une suite de lignes droites passant sur le sommet de la montagne de Roqueblanque ; de ce dernier point, par une ligne droite dirigée vers le N.E. sur Quintillan : de Quintillan par une ligne droite dirigée vers l'O. sur Palairac, point de départ. Il existe alors sur les mines de Ségure 1e) deux puits, dits de Ségure et de St. Gervais, non exploités ; 2e) diverses galeries, dite de la grande et de la petite mine, qui sont les seules en exploitation régulière ». Avec d’un ingénieur allemand Cathelan recommence aussitôt les travaux qu'il avait interrompu jusqu'à la publication du décret de concession, mais doit les abandonner l'année suivante pour envoyer ses ouvriers, à la demande du gouvernement, dans la mine d’Estavar afin de soutenir l’effort de guerre en Espagne.


     Nous ne savons pas quand l'extraction reprend. Les procès verbaux de visite nous permettent de suivre les travaux de 1819 à 1823. En 1820 les travaux sont suspendus depuis le commencement de l'année à Ségure proprement dit. Quant au percement commencé plusieurs années auparavant à Quintillan, à l'exposition du couchant, et repris en 1819, il nécessite deux heures de pompage par jour à la main. Une galerie d'écoulement s'avère nécessaire. En 1821, l'extraction s'effectue à 24 m de l'entrée, ou une galerie de 54 m a été percée. Les réserves délimitées par les travaux sont estimées à 168 m3 de houille. La production s'élève cette année là à 416 tonnes. Le P.V. du 22 oct. 1822 nous apprend que la houille est envoyée notamment aux fours à chaux d'Espira de l'Agly, construits par Cathelan, et exploitées pour deux ans, ainsi que la mine de Quintillan, par le Sieur Tardes, entrepreneur des fortifications de Perpignan. La mine est bien travaillée. Elle utilise alors 7 ouvriers, dont 3 mineurs, et 4 manœuvres utilisés surtout au pompage.


     Les ouvriers sont assez nombreux pour qu'on construise pour eux la « caserne des mineurs » qui existe encore. C'est la dernière bâtisse à gauche, à la sortie de Ségure, dans la direction de Palairac. Là vivent en collectivité les mineurs célibataires. Les bâtiments de la mine comportent aussi une forge située à la sortie Nord, sur la gauche, à cinquante mètres avant la caserne des mineurs.


     Cathelan meurt en 1827 à l'age de 72 ans. La mine est reprise en 1838 et jusqu'en 1847 par la compagnie Maillard. « Les travaux de la mine de houille de Ségure, qui ont été entrepris avec activité en 1838, se sont poursuivis pendant toute l'année 1839 : une somme totale de 125 718 fr. y a été dépensé ; l'objet principal de ces travaux était de reconnaître la couche exploitable sur divers points de la concession. On construit dans ce moment, auprès de la mine, un haut-fourneau d'essai, de petite dimension, dans lequel on fondrait les minerais de fer de cette contrée, au moyen de la mine employée en nature. La production atteignait 6500 tonnes en 1838 dont 3250 seulement furent vendues. En 1840 la mine de Ségure a produit 3000 m3 de charbon, sur lesquels 1700 seulement ont été écoulés. C'est le défaut des débouchés qui restreint le développement de cette exploitation, malgré les effort de la compagnie pour arriver à répandre ses produits, soit en créant des routes, soit en donnant l'exemple de l'application du combustible minéral à la cuisson de la chaux et celle des briques. » En 1841 la mine est presque abandonnée. À la suite d'un procès entre M. de Pleville, administrateur de la mine, et la compagnie G. Maillard concessionnaire, la mine est abandonné en 1846, puis mise en adjudication l'année suivante. M. P.J. Foucaud l'achète pour 55 000 francs et en reprend aussitôt l'exploitation. La mine est préalablement asséchée et le nouveau concessionnaire construit un aqueduc dérivant le ruisseau de Faste. En 1850 elle produit 6000 quintaux. Le concessionnaire ne rencontre pas plus de succès que ses prédécesseurs et successeurs dans l'exploitation de cette mine et celle-ci est a nouveau mise en adjudication en 1858. Quelques travaux ont lieu en 1860, puis la mine passe dans les mains de R.S. Jacomy, directeur des mines de Fillols (P.O.), et notamment concessionnaire des mines de fer de Balansac, la Caune des Causses et Monthaut, et de la mine de houille de Durban, qui lui rend une certaine activité puis l'abandonne. La mine fonctionnera à nouveau en 1914-18 et en 1939-1945. La concession est rétrocédée à l'État en 1926. Actuellement tous les travaux, qui s’étendaient sur les deux côtés du ruisseau, sont bouches. Seuls quelques affleurement de houilles sont visibles.


Sources : G. Langlois, Inventaire des mines et industries métallurgiques des Corbières, 1987



 


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Dernière mise à jour : 4 février 2004