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LES
SARRASINS DANS LA MYTHOLOGIE OCCITANE
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(Mise à
jour du texte écrit pour Pays Cathare
magazine, n° 13, janvier-février 1999, p. 80-81) |
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La
domination d’une petite partie du Midi par les sarrasins au Moyen Âge a été
courte et limitée, mais son souvenir, vivace jusqu’à nos jours dans la
mythologie occitane, est à l’origine de légendes épiques ou fabuleuses. |
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En 711 des arabes et des
berbères pénètrent en Espagne. Le royaume wisigoth s’effondre. La Septimanie,
partie la plus septentrionale du royaume et correspondant actuellement aux
départements des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault et du Gard, est
conquise peu après. En 719 Narbonne devient le siège d’une province de
l’Empire Arabe, dirigée par un wali
ou gouverneur. Poursuivant leur conquête en Gaule, les Arabes se heurtent
pour la première fois à une forte résistance. La dynastie carolingienne qui
dirige depuis peu le royaume des Francs réagit. Charles Martel arrête la
progression arabe en 732, son fils Pépin reprend Narbonne en 759, son petit-fils
Charlemagne fait la conquête de la Catalogne en 801. Cependant, cette
reconquête ne met pas un terme à la menace musulmane. Jusqu’au début du
XIe siècle le Languedoc et la Provence subissent des raids par terre et
par mer. Une tête de pont musulmane se maintient même pendant un siècle
jusqu’en 972 en Provence dans le massif des Maures[1]. Cette courte occupation n’a
laissé que peu de traces archéologiques. Les rares découvertes, quelques
monnaies et céramiques arabes de la première moitié du VIIIe siècle, se
localisent toutes sur les villes côtières, d’Agde à Château-Roussillon, et
sur l’axe Castelnaudary-Narbonne. Ajoutons à cela la mise à jour près de la
cathédrale de Narbonne de vestiges pouvant correspondre à une mosquée, et la
découverte de quelques épaves dans le golfe de Saint-Tropez. La toponymie n’a
rien gardé, exception faite du massif des Maures (sous le nom de maure ou
sarrasin ou désignait autrefois les arabes et les berbères), et de la ville
de Ramatuelle (de Rahmatu Allah = le
bienfait de Dieu). Les nombreux toponymes en maure, tel Castelmaure dans les Corbières, désignent plus
certainement un lieu ou une personne de couleur brune qu’un arabe ou un
berbère. En définitive, la civilisation arabe a laissé en Occitanie des
traces beaucoup plus nombreuses au Bas Moyen Âge par le biais du commerce et
des croisades, qu’au Haut Moyen Âge. Les traditions se rapportant
à la domination arabe sont par contre très nombreuses. Mais malgré leur
ancienneté (beaucoup sont attestées dès le XIIIe siècle)[2],
ces traditions ont déformé la réalité et appartiennent à la légende. Elles se
focalisent sur la période carolingienne, c’est à dire quand les sarrasins
sont vaincus, et plus particulièrement sur Charlemagne qui n’a pourtant joué
aucun rôle dans la reconquête du Languedoc. Dans la plupart des récits
légendaire tels ceux qui appartiennent au cycle de Roland et de Charlemagne,
le sarrasin est de plus réduit au rôle de faire valoir des chrétiens. Seule
une sarrasine, dame Carcas, met en échec Charlemagne. Mais par sa bravoure,
elle a mérité d’être chrétienne et se fait baptiser[3].
À part cette exception, le sarrasin est toujours présenté comme un barbare
comme dans la légende Pech Tartare[4]
. Dans la haute vallée de l’Aude on employait encore au XIXe
siècle des expressions comme brutal comme un sarrasin, sauvage comme un maure[5].
Il est souvent assimilé à l’homme sauvage ou à l’ours dans un certain nombre
de rites liés au carnaval. À Fenestrelle[6],
dans les Alpes italiennes de langue occitane, le matin du carnaval, les
habitants sont invités à partir à la recherche d’un sarrasin caché dans les
bois. Ce sarrasin est en réalité un jeune qui s’est déguisé et noirci la
figure au charbon. Capturé par les jeunes, il est amené devant un tribunal
qui l’accuse de tous les maux de l’année. Condamné à être pendu, on lui passe
la corde au cou. Mais sa femme, tenant un enfant dans les bras, se précipite
devant les juges pour implorer leur pardon. Émus, les juges s’en remettent à
la décision de la foule qui fait grâce au sarrasin. On l’admet avec sa
famille dans la communauté et tout se termine par des chants et des danses.
Ce rite témoigne-t-il de l’intégration dans les Alpes de sarrasins venus du
massif des Maures ? La tradition voit aussi dans
de nombreux vestiges l’œuvre des sarrasins, quand ce n’est pas celle de leurs
prédécesseurs romains ou wisigoths. Ce sont des fortification tels les
remparts romains de Toulouse et de Carcassonne, la Tour Mauresque de
Narbonne, l’oppidum de La Lagaste ou Pech Tartare, le château Saint-Pierre
d’Alaric (Aude), le château Sarrazy de Brassac (Tarn), le château des Cluses
(Pyrénées-Orientales), le château de La Garde-Freinet (Var). Si la tradition
se trompe sur les constructeurs réels, elle témoigne peut-être parfois des
lieux qui ont été occupés par des garnisons musulmanes. Paradoxalement,
certaines tours à signaux du haut Moyen Âge du Roussillon comme le phare de
Collioure, sont attribuées aux sarrasins alors qu’elles avaient précisément
été construite pour faire face à leur menace. Les découvertes de champs de
sépultures anciennes, ont souvent été interprétés comme les vestiges de
sanglantes batailles entre chrétiens et musulmans. La plaine de Maraussan,
près de Narbonne garderait jusque dans son nom (jeu de mot sur mare au sang) le souvenir d’une de ces
batailles. Une étymologie fantaisiste est aussi à l’origine de la légende de
Villebersas, près de Lagrasse (Aude). Après prise de Carcassonne Charlemagne
aurait réuni sur cette colline les prisonniers sarrasins parmi lesquels se
trouvaient des femmes portant plusieurs milliers d’enfants dans leur berceau.
Là l’archevêque Turpin aurait baptisé tout le monde et fondé un prieuré pour
rappeler l’événement. Ne voulant pas être de reste, Charlemagne rebaptisa le
lieu Villebersas (en occitan le village des berceaux) en l’honneur des
enfants nouvellement chrétiens et offrit un festin à tout le monde[7]. Certains lieux sont aussi
associés à des histoires de trésors car on imagine les sarrasins très riches.
Besse raconte qu’au XVIe siècle, les Morisques, ces musulmans convertis
de force à la religion chrétienne puis expulsés d’Espagne et dont certains
avaient trouvé refuge en Languedoc, s’intéressaient de près à l’oppidum de La
Lagaste où ils espéraient retrouver quelque trésor fabuleux laissé par leurs
ancêtres. Le puits de la cité de Carcassonne abriterait un autre trésor mis
là à l’abri lors du siège de la ville. De la mine d’or et d’argent de la
Canal à Palairac[8]
(Aude), ou de celle de l’Alaric à Moux[9]
(Aude), les sarrasins auraient tiré une fortune dont il resterait quelques
traces. La tradition musulmane a
aussi gardé quelques souvenirs de cette période. Selon le géographe
al-Zurhrî, à Narbonne les conquérants auraient trouvé une statue avec une
inscription prophétique qui disait : « fils d’Ismaël, faîtes
demi-tour. Vous ne pouvez aller plus loin. Je vous en donnerai l’explication
si vous me le demandez, mais si vous ne rebroussez pas chemin, vous vous
entre-tuerez jusqu’à la fin des siècles ». Pour en
savoir plus : G. Jourdanne,
Folklore de l’Aude, réédité à Paris
en 1973 Islam et chrétiens du Midi, Cahiers de Fanjeaux n° 18,
Privat 1983. Gauthier LANGLOIS, 1998 |
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LA LÉGENDE DE PECH TARTARE
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A mi chemin entre Carcassonne
et Limoux s'élevait depuis la Préhistoire un important oppidum. Occupé plus
tard, selon la tradition, par les Romains, les Wisigoths puis les Arabes, il
aurait été détruit par le duc d'Aquitaine en 719. Cette tradition a inspiré à
Joseph Maffre une curieuse légende, publiée en occitan en 1938 sous le titre Tartari, et que nous résumons ici. Il y a bien longtemps, dans
la citadelle de Pech Tartare, vivait une belle et souriante jeune fille,
nommée Alderica, qui était la fille du roi des Wisigoths. Alderica et les
habitants de cette ville vivaient heureux, jusqu'au jour où de barbares
cavaliers, les Sarrasins, envahirent le royaume et assiégèrent la cité.
Courageusement défendue par Alderica et les siens, la cité repoussa tous les
assauts. Mais les sarrasins entassèrent du bois devant les portes de la ville
et y mirent le feu. Les portes consumées, ils se ruèrent dans la ville.
Submergés par le nombre, les défenseurs furent vite massacrés. Alderica
profita d'un court répit laissé par les Maures occupés à piller et
incendier : elle se réfugia avec les femmes et les enfants dans la
chapelle située au sommet de la ville. Quand la porte de la chapelle céda,
Alderica se trouva face au chef des Sarrasins. Celui-ci, fasciné par sa
beauté, l'entraîna dehors et tenta de l'embrasser. Folle de honte, Alderica
repoussa violemment l'émir qui alla s'empaler sur l'épée d'un de ses gardes.
Alors, les Sarrasins, furieux, vengèrent leur chef en perçant la jeune fille
de vingt coups de lances. Le sang versé sur la terre devait faire un miracle.
Là où était tombée la jeune fille, poussa un genévrier, toujours vivant douze
siècles après et toujours vert, même au cœur de l'été. Cet arbre est comme
l'espoir du peuple occitan, qui malgré le feu et les ruines, relève la tête.
Vous qui passez par là, admirez cet arbre et trempez-y votre âme. En pensant
au passé, construisez l'avenir. Tôt ou tard, le peuple occitan aura la place
qu'on lui a volé. |
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Notes
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[1]
« Islam et chrétiens du Midi (XIIe-XIVe siècle) », Les Cahiers de
Fanjeaux, n° 18, Toulouse : Privat, 1983, 435 p. Ph. Sénac,
« Note sur le Fraxinet des Maures », Annales du Sud-Est varois,
tome XV, 1990, pp. 19-23. [2]
Par exemple le sénéchal de Carcassonne désigne en 1240 un des murs de la cité
sous le nom de « mur sarrasin ». Archives nationales, Paris,
J 1030, n° 73. Traduction dans J.-P. PANOUILLÉ, Carcassonne, le temps des sièges, Paris : Caisse Nationale des
Monuments Historiques/Presses du C.N.R.S., 1992. [3]
G. Besse, Histoire des antiquités et comtes de Carcassonne, A Béziers, pour
A. Estradier, marchand libraire de Carcassonne, 1645, [4]
J. Maffre , Tartara, Castelnaudary : Imprimerie d’édition occitanes, 1938. [5]
G. Jourdanne (Gaston). - Contribution au folklore de l'Aude,
Paris : Maisonneuve et Larose, Carcassonne : Gabelle, 1899 et 1900. [6]
M. Mourgues, « Le sarrazin
de Fenestrelle », Folklore, n°
142, tome XXIV, 1971, pp. 18-22. [7]
É.-J. Simmonet, Édition critique du roman de Notre Dame de
Lagrasse, thèse de 3e cycle de lettres sous la direction de
Madame Thiolier, Université de Paris IV - Sorbonne, Institut de littérature et
de langue d’Oc, 1988, 295 p. [8]
Archives nationales, Paris, F 14 8060, 14. Mémoire du sieur Dubosc
sur la mine de La Canal, vers 1792. [9]
Archives nationales, Paris, F 14 8060, 5. Notice sur la montagne
d'Alaric adressée par le citoyen Croizet. An IV. |
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